Le 3 juin 2020, les leaders du Congrès de la Renaissance Démocratique (CRD) ont saisi, individuellement et collectivement, la Cour suprême de deux recours en annulation et de deux requêtes en référé contre les Décrets n°2020-964 du 17 avril 2020 instituant un honorariat pour les anciens présidents du CESE et n°2020-976 du 21 avril 2020 accordant le statut de Président honoraire à un ancien Président du Conseil Économique, Social et Environnemental (CESE).
Par Pr Cheikh Faye
Avant de revenir sur le fond en analysant les chances de succès d’une telle démarche, il convient de saluer, sur la forme, la cohérence et le sens de l’État des leaders du CRD. Ces derniers se sont montrés cohérents en allant jusqu’au bout de leur logique, ne se limitant pas seulement à dénoncer un énième scandale d’État. Ils ont engagé le combat pour, d’une part, préserver les deniers publics des prévarications d’une classe dirigeante beaucoup plus préoccupée par la jouissance du pouvoir et son confort au détriment du peuple et, d’autre part, faire respecter les fondamentaux d’un État de droit qui permettent et assurent « le vivre ensemble ». Les leaders du CRD ont aussi fait montre d’un sens élevé de l’État et, par ricochet, démontré le haut degré de conscience de leurs responsabilités qui les habite en menant la bataille là où il faut : devant la Justice, cet autre pilier, voire épine dorsale d’un État de droit. Ils ont saisi la Justice sans troubles à l’ordre public, sans insultes, sans menaces ni bravades inutiles tout en restant droits dans leurs bottes et fermes dans leurs convictions. C’est qui est à saluer et mérite d’être souligné dans un contexte où chacun(e) a tendance à vouloir se faire justice. La balle est désormais dans le camp de la Justice, à qui aucune dérobade n’est plus possible. Elle doit dire le droit conformément à sa mission, mais aussi pour la préservation de la paix sociale, car cette dernière ne saurait exister sans, au préalable, une justice équitable et juste aussi bien dans son administration que dans sa distribution.
La justice doit dire le droit conformément à sa mission, mais aussi pour la préservation de la paix sociale…
Rappel des faits
Le CRD a saisi la Cour suprême à travers deux recours en annulation et de deux autres requêtes en référé :
Position du droit
Sur la recevabilité
Pour qu’un recours ou une requête contre un acte administratif soit recevable, il faut que les personnes qui saisissent la Cour suprême aient la qualité pour agir (soient fondées à agir) et un intérêt à agir (s’estimer léser). Ces deux critères de recevabilité sont entièrement satisfaits par les leaders du CRD, qui rappelons-le, agissent à titre individuel et collectif.
En effet, sur la qualité pour agir, l’article 25-3 alinéa 3 de la Constitution dispose que « tout citoyen a le devoir de respecter et de faire respecter le bien public ». Les avantages et privilèges consentis aux Présidents honoraires sont tirés des ressources nationales lesquelles constituent un bien public. De surcroît, l’article 4 alinéa 1 de la Constitution dispose que « les partis politiques et coalitions de partis politiques concourent à l’expression du suffrage dans les conditions fixées par la Constitution et par la loi. Ils œuvrent à la formation des citoyens, à la promotion de leur participation à la vie nationale et à la gestion des affaires publiques ». Par conséquent, en agissant pour leur compte personnel, pour celui des partis qu’ils représentent ainsi que pour celui de leurs militants, les leaders du CRD ont manifestement qualité pour agir.
S’agissant de l’intérêt à agir, une jurisprudence récente de la Cour suprême conforte les leaders du CRD. Il s’agit de l’arrêt rendu par cette même Cour suprême le 26 septembre 2013 dans l’affaire Cheikh Tidiane Sy et autres C. / État du Sénégal, dans lequel il est précisé que « la notion d’intérêt s’entend comme le droit de ne pas souffrir personnellement de l’illégalité ». Collectivement, il n’y a pas de doute possible que l’octroi d’avantages et de privilèges indus tirés des ressources nationales est de nature à avoir un impact sur les deniers publics dans un contexte de raréfaction et de difficultés économiques de toute sorte pour des pans entiers de la population. Pris individuellement, de façon manifeste et indéniable, il est facile de démontrer que tous les requérants « souffrent personnellement de l’illégalité » entourant la prise de ces deux décrets. L’exemple du Premier ministre Abdoul Mbaye est édifiant à cet égard. Il « souffre personnellement de l’illégalité »résultant de la violation du Décret n° 2013-732 du 28 mai 2013 portant approbation du règlement intérieur du CESE qu’il avait contresigné. L’article 51 de ce Règlement Intérieur stipule que« sur proposition du Bureau, entérinée par l’Assemblée plénière, l’honorariat peut être accordé, par décret, à un(e) ancien(ne) Président(e) de Conseil ». Cela n’a pas été le cas, donc son contreseing, a été violé. Ce qui lui donne toutes les raisons d’ester en justice.
Au total, la recevabilité des recours et requêtes introduits par les leaders du CRD ne peut faire l’objet d’aucune contestation au regard des dispositions pertinentes de la Loi organique n° 2017-09 du 17 janvier 2017 abrogeant et remplaçant la loi organique n° 2008-35 du 08 août 2008 sur la Cour suprême et de la jurisprudence de cette même Cour. La Cour suprême n’a aucun autre choix en dehors de celui de déclarer recevables les recours et requêtes du CRD et, subséquemment, de les instruire.
Sur le fond
Les violations de la loi sont tellement grossières et manifestes que même un profane en sciences juridiques peut les apercevoir sans aucune difficulté et sans loupe. Ci-après, certaines violations de la légalité sont fournies pour étayer cette assertion.
Conclusion
Au regard de toutes ces raisons (de forme et de fond) évoquées ici et bien d’autres, les prétentions des leaders du CRD sont juridiquement fondées. La Cour suprême ne peut que déclarer recevables leurs recours et requêtes et y donner une suite favorable. Sinon, ce serait un déni de justice.
Pr Cheikh Faye
Canada