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Communiqué du Spiil

Paris, le 21 janvier 2021. 

Le Spiil demande le retrait des articles 18 et 20 de la loi confortant le respect des principes de la République et appelle à une réflexion d’ensemble pour aboutir à une réforme ambitieuse de la loi de 1881, respectueuse de son esprit initial.

Le Spiil souscrit pleinement à la nécessité de lutter contre la haine en ligne.

Le déferlement de discours haineux sur Internet, démultiplié au gré des partages successifs sur les réseaux sociaux, constitue une légitime préoccupation en ce qu’il peut mettre en péril des personnes. L’assassinat de Samuel Paty, quelques jours après des commentaires menaçants sur Facebook, témoigne de leur écho incontrôlable et le Spiil souscrit pleinement à la nécessité de lutter contre la haine en ligne.

L’émotion suscitée par cet abominable attentat ne doit toutefois pas conduire à effacer d’un trait de plume le subtil équilibre de la loi du 29 juillet 1881 par une réforme législative pensée dans l’urgence, qui déplace le curseur dans le seul sens sécuritaire aux dépens de la liberté d’expression. 

C’est ce que nous font craindre les articles 18 et 20 du projet de loi confortant le respect des principes de la République.

L’article 18, qui n’est pas sans rappeler, dans ses finalités, l’article 24 de la loi Sécurité globale, introduit dans le code pénal un nouveau délit d’intentionnalité de mise en danger de la vie d’autrui par la diffusion d’informations relatives à la vie privée, familiale ou professionnelle d’une personne permettant de l’identifier ou de la localiser. Alors que la protection de la vie privée est déjà prévue par la loi, ce nouveau délit d’informer, qui s’affranchit totalement du cadre de la loi de 1881, fait passer l’intentionnalité supposée de son auteur devant le respect du droit à l’information. A l’instar de l’article 24 de la loi Sécurité globale contre lequel il a pris position, le Spiil alerte sur le danger d’une telle pénalisation de l’intentionnalité supposée d’une expression, en dehors du cadre de la loi de 1881.

L’article 20 vise à autoriser la comparution immédiate pour certains délits d’incitation à la haine lorsque l’auteur ne relève pas du régime de responsabilité dit en cascade, c’est-à-dire qu’il ne dépend pas d’un directeur de publication ou d’un producteur, mais s’exprime dans un autre cadre, sur les réseaux sociaux notamment. Tout en prenant acte du maintien de la protection procédurale de la loi de 1881 pour tous ceux, journalistes ou non, qui s‘expriment dans le cadre d’une chaîne de responsabilité en cascade, le Spiil alerte sur la suppression de ces garde-fous procéduraux dès lors qu’une personne, journaliste ou non, s’exprime sans la couverture d’un producteur ou directeur de publication.

Comme le souligne la CNCDH dans son avis sur la lutte contre les discours de haine sur Internet : “Certaines procédures d’urgence – comme notamment la comparution immédiate et la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité – ne sont pas adaptées au contentieux des abus de la liberté d’expression, dont la complexité et les valeurs en jeu imposent un traitement ferme, mais mesuré.” 

Cette mesure risque de conduire à une autocensure préjudiciable à l’écosystème démocratique de l’information sans lequel ne peuvent évoluer des éditeurs de presse.

Cet article remet en question l’équilibre de la loi de 1881 alors qu’il existe déjà des mesures légales pour lever promptement l’anonymat sur Internet et attaquer les auteurs en justice. De même, il existe déjà des mesures pour signaler un contenu abusif à l’éditeur ou l’hébergeur, lequel devient alors complice s’il décide de le maintenir en ligne. Une plate-forme du ministère de l’Intérieur, Pharos, permet par ailleurs à tout citoyen de signaler un contenu suspect ou illicite. Encore faut-il que ces leviers soient pleinement exploités, ce qui constitue une tâche ardue sur le plan opérationnel. Faut-il rappeler que l’un des comptes Twitter de l’assassin de Samuel Paty a été signalé sur Pharos dès le mois de juillet ? 

La loi de 1881 n’est pas une loi réservée à la presse et à sa seule liberté mais une loi sur la liberté d’expression du public, quel qu’il soit, votée à une époque où les supports de cette liberté d’opinion étaient imprimés (journaux, livres, affiches, placards, etc.). L’article 20 tourne le dos à l’esprit initial de cette loi fondamentale en réservant la loi sur la liberté d’expression aux auteurs s’inscrivant dans une chaîne de responsabilité, il prive la masse des citoyens d’une protection légale de leur droit à s’exprimer, à critiquer, à protester, à polémiquer, etc. Et, ce faisant, il tourne aussi le dos aux promesses de la révolution numérique pour la démocratisation du débat dans l’espace public.

La question de l’adaptation de la loi de 1881 aux enjeux du numérique et des réseaux sociaux est pourtant posée depuis plusieurs années et a fait l’objet d’une importante réflexion, notamment de la part des parlementaires (rapport du Sénat de juillet 2016, rapport de l’Assemblée nationale d’octobre 2015), donnant lieu à un éventail très large de propositions pour renforcer à la fois la liberté d’expression et la répression de ses abus à l’aune des nouvelles technologies d’information et de communication. Ces propositions, prêtes à être versées au débat, et qui abordent non seulement la dimension législative mais aussi opérationnellede cet enjeu, constituent un socle solide pour adapter de manière ambitieuse la loi de 1881, avec une vision d’ensemble, en préservant l’équilibre entre deux droits fondamentaux : la sécurité des personnes et la liberté d’informer et d’être informé.

A contrario, les réponses législatives dans l’urgence de l’émotion tendent à ne réformer qu’en jouant sur la variable sécuritaire, occasionnant un effet rebond préjudiciable à la liberté d’informer. Depuis plusieurs années, la tendance a malheureusement été dans ce sens de manière constante, sortant des délits de la loi de 1881 pour les inscrire dans le code pénal. 

Les articles 18 et 20 de la loi confortant le respect des principes de la République relèvent de cette même fuite en avant consistant à retirer les abus à la liberté d’expression et d’information de la loi de 1881 pour les introduire dans le code pénal. Le Spiil demande leur retrait et appelle à une réflexion d’ensemble pour aboutir à une réforme ambitieuse de la loi de 1881, respectueuse de son esprit initial.

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